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Cédric Orléans avait exceptionnellement permis aux membres du personnel qui le désiraient de dormir à la base, puisque la soudaine disparition de milliers de personnes avait plongé la ville dans le chaos, à la surface. Les techniciens ayant des familles avaient commencé par appeler chez eux pour savoir s'il leur manquait des êtres chers. Certains étaient même partis pour aller réconforter les leurs. Les autres étaient restés.

Aodhan Loup Blanc n'avait aucun parent dans la province ontarienne. Il avait bien sûr téléphoné au Nouveau-Brunswick pour s'enquérir de la situation. Sa mère lui avait appris que ses grands-parents s'étaient volatilisés, ainsi que tous ses neveux et nièces. Aussi peiné qu'elle, l'Amérindien n'avait pas trouvé les mots pour l'apaiser. En raccrochant, cependant, il lui avait promis de revenir chez lui dès qu'il le pourrait.

Tout comme Cindy et son patron, Aodhan aurait pu s'installer dans l'une des cabines de l'infirmerie pour y dormir quelques heures, mais sa curiosité le poussa à aller voir ce qui se passait à l'extérieur. Il se rendit donc aux garages de l'ANGE, où les mécaniciens furent plutôt surpris de le voir arriver.

— J'aimerais emprunter une motocyclette, annonça-t-il aux hommes qui jouaient aux cartes près de la porte.

— Il est préférable de ne pas sortir cette nuit, recommanda Herbert, l'aîné du groupe.

— Il y a des accidents partout, ajouta son adjoint.

— L'un de nous doit tout de même surveiller ce qui se passe là-haut, répliqua Aodhan.

— Les capteurs ne vous le montrent pas ? s'étonna Herbert.

— La plupart ont été endommagés.

— C'est monsieur Orléans qui vous envoie courir un risque pareil ?

— Monsieur Orléans en a plein les bras, en ce moment. Il sera content de recevoir mon rapport sans avoir eu à me le demander.

Après un moment d'hésitation, Herbert se leva et fit signe à l'agent de le suivre. Il l'emmena jusqu'à une stalle où se trouvait une motocyclette toute noire. Le mécanicien pianota un code d'accès sur la porte grillagée qui s'ouvrit sur-le-champ.

— C'est la plus puissante que nous ayons, mais il faut la traiter avec douceur, recommanda-t-il.

— Ne vous inquiétez pas, je m'adapte plutôt facilement à tous les moyens de transport.

Aodhan écouta religieusement les conseils de Herbert et accepta de faire un essai dans le garage. Constatant qu'il se débrouillait fort bien, le vieux soldat le laissa finalement grimper la pente qui menait au stationnement de la Casa Loma. L'Amérindien n'eut même pas à attendre l'ouverture du panneau du plafond. La rampe s'éleva tout de suite en angle. Aodhan accéléra et se retrouva bientôt à l'air libre. Dès les premières disparitions, le château avait fermé ses portes au public. Le stationnement et les alentours étaient donc déserts. L'agent avança lentement jusqu'à la rue en tendant l'oreille. Si le quartier semblait calme, les choses étaient bien différentes au centre-ville.

Tous ses sens en alerte, Aodhan descendit Walmer Road en observant le ciel qui aurait dû être encore sombre. Cette nuit-là, il était coloré de rouge, car il y avait des incendies un peu partout. À l'intersection de Davenport Road, il laissa passer deux camions de pompiers qui fonçaient vers le cœur de la ville, puis se hâta de les suivre. Les gros véhicules durent s'arrêter brusquement en arrivant sur Yonge Street, congestionnée par de nombreux accidents. Malgré leurs sirènes retentissantes, ils ne pouvaient pas se faufiler entre les voitures embouties les unes dans les autres et les camionnettes renversées. Des dépanneuses entourées de policiers tentaient d'ouvrir cette voie d'accès aux véhicules d'urgence, mais leurs progrès étaient très lents.

Grâce à la motocyclette, beaucoup plus manœuvrable que les poids lourds, Aodhan parvint à monter sur le trottoir, Il s'arrêta deux rues plus loin avant d'atteindre Bloor Street, et actionna sa caméra personnelle en faisant faire un tour au premier bouton de sa veste. Même si les techniciens étaient tous occupés ailleurs, l'ordinateur stockerait ces images dans sa mémoire. Il n'aurait qu'à les récupérer plus tard.

Tous les grands axes du centre-ville étaient dans le même état déplorable. Des automobiles sans conducteur avaient arraché des feux de circulation. D'autres s'étaient écrasées contre des murs ou dans des vitrines. Les ambulanciers tentaient désespérément de dégager tous les blessés. Çà et là, des véhicules flambaient.

Aodhan poursuivit sa route en évitant les empilements de ferrailles fumantes, les services de secours et les bornes-fontaines brisées desquelles jaillissaient de menaçants geysers. La ville bourdonnait de sons bien différents de l'ordinaire cette nuit-là. Aux sirènes des voitures de police, des ambulances et des camions de pompier se mêlaient les énervantes alarmes des automobiles accidentées, les cris des gens affolés et les pleurs de ceux qui ne comprenaient pas ce qui leur arrivait.

— Et c'est ainsi partout à travers le monde, s'affligea l'Amérindien.

Il découvrit le même spectacle d'une intersection à l'autre jusqu'à ce qu'il atteigne King Street. Le cœur lourd, il obliqua vers l'est afin de voir l'état de l'autoroute. Il trouva encore plus de dégâts dans cette rue et, au loin, une colonne de fumée noircissait l'horizon. Aodhan s'en approcha autant qu'il le put en empruntant Bayview Avenue. Il s'arrêta un moment devant le cimetière. Un immense incendie faisait rage dans le parc, de l'autre côté de Don Valley Parkway.

Aodhan remercia Herbert de lui avoir fourni une motocyclette aussi maniable, car il réussit à s'approcher suffisamment des clôtures pour comprendre ce qui s'était passé. Un grand nombre de camions de pompiers arrosaient les restes d'un avion commercial qui s'était écrasé dans le parc !

La mort dans l'âme, l'agent de l'ANGE entreprit de rentrer à la base. Au lieu de revenir sur ses pas, il rejoignit Bloor Street au nord, puis Davenport Road. Lorsqu'il s'arrêta enfin dans le stationnement du château, il se mit à pleurer amèrement. Ce n'était pas le Ravissement qui était en train de se produire, mais la fin du monde. Et si ce n'était qu'un épisode cauchemardesque de l'histoire de l'homme, le Canada et les autres pays riches finiraient par se remettre de ce désastre, mais les pays pauvres ?

Aodhan appuya la motocyclette sur sa béquille latérale et s'agenouilla sur l'asphalte froid. Dans la langue de ses ancêtres, il se mit à implorer le Grand Esprit de venir en aide aux survivants et d'accueillir les morts auprès de lui.

Ce furent les hommes de Fletcher, alertés par les caméras de surveillance, qui se précipitèrent au secours de l'Amérindien. Deux d'entre eux le soulevèrent par les bras, alors que les autres ramenaient son engin à l'intérieur. Ils firent asseoir Aodhan dans le bureau du chef de la sécurité et déposèrent une couverture chaude sur ses épaules.

— Ne me dis pas que tu as tenté de rentrer chez toi, lui reprocha Aaron Fletcher.

— Je voulais voir ce qui se passait là-haut.

— Les stations de télévision diffusent ces images depuis le début de la journée, Aodhan.

— C'est encore plus effroyable lorsqu'on les voit de ses propres yeux. La planète mettra des mois à se relever de ce désastre.

— Plus personne ne quittera cette base sans l'approbation de monsieur Orléans, y compris toi. Est-ce bien clair ?

L'agent atterré acquiesça d'un imperceptible mouvement de la tête.

— Maintenant, va dormir.

Aodhan traîna les pieds dans le long couloir, mais au lieu d'entrer dans la salle de Formation, il se dirigea plutôt vers celle des Laboratoires. En tremblant, il tapa son code sur le clavier d'un ordinateur et afficha à l'écran le film qu'il avait fait. Il y ajouta des légendes, de manière à ce que Cédric puisse identifier les rues où sévissaient les incendies, puis lui transmit le tout au moyen d'un message électronique. Épuisé, le pauvre homme regagna son lit à la section médicale.

 

Sicarius
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